Le chien « dominant » mythe ou réalité ?

6 Mai 2020

Lorsqu’un terme scientifique devient un terme vernaculaire, la précision de sa définition est généralement perdue. Le concept de « dominance », chez les chiens de compagnie en est un parfait exemple. Le terme « dominant » est souvent utilisé par les propriétaires, les professionnels canins et le grand public, pour décrire les chiens aux comportements tyranniques voire agressifs. Mais il faudrait préciser la définition du concept de « dominant ». Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde, selon une citation apocryphe de A. Camus.

Historiquement, en psychologie humaine, la domination sociale est considérée comme un aspect ou un trait de la personnalité. La personnalité étant un modèle spécifique de comportement, de pensées et de sentiments qui persiste dans le temps et dans toutes les situations. Les traits de personnalité, à la différence des états, se réfèrent à des aspects mesurables de la personnalité qui varient selon les individus, mais qui restent relativement cohérents au sein des individus à travers le temps et le contexte.

En éthologie, le mot dominance est utilisé pour décrire les relations sociales à long terme entre deux individus (ou groupes), qui s’établissent par la force, l’agression où la soumission. La dominance sert à déterminer l’accès prioritaire aux ressources tels la nourriture, les lieux de repos privilégiés…. Le gagnant est appelé « dominant » et le perdant « subordonné ». Une fois la relation établie, le subordonné montre des comportements de soumission tels que « lécher les babines du dominant », offrir son cou etc. En règle générale, il n’est plus nécessaire que le « dominant » utilise la force ou l’agression, ce qui réduit les risques de conflit grave. La domination est une mesure relative et non une propriété absolue des individus.

Les éthologues ont depuis longtemps argumenté contre l’existence de la domination comme trait de personnalité. Les individus vivant en groupe peuvent être dominants ou soumis face à différents partenaires. Le statut de dominance au sein des dyades est flexible, ce qui ne correspond pas à la définition des traits de personnalité comme vu sous l’aspect psychologique de la domination. Dans certaines relations, le contexte de l’interaction comportementale s’avère important. Par exemple, la capacité de compétition individuelle et les différences de motivation pour obtenir des ressources valorisées peuvent interagir pour produire des résultats différents dans des contextes différents. Le fait que les animaux puissent former des relations dynamiques complexes qui diffèrent entre les dyades va à l’encontre du concept de domination (et de soumission) en tant que trait de personnalité.

De plus, étant donné que les individus vivant en groupe peuvent être « dominants » ou « soumis » à différents partenaires, conforte le fait que cela ne corresponde pas à la définition d’un trait de personnalité. Par exemple, Néo peut être le « meilleur des chiens » au sein de sa propre meute-famille, obtenant toutes les meilleures ressources sur Durgha telles que les os et les lieux de repos où l’attention de son maître, mais lorsqu’il est chez les parents de son propriétaire, Durgha, la résidente la plus âgée, pourra être le « meilleur des chiens », et Néo le subordonné.

Dans une étude récente qui portait sur la perception de maîtres experts au regard du sentiment de dominance « perçu » de leurs chiens, il en est ressorti, que les chiens assignés à un statut de « dominant » ont affiché une plus grande assurance et une meilleure aptitude à l’entraînement que les chiens « subordonnés ». L’agression intraspécifique et l’indépendance n’avaient quant à elles, aucun lien avec le statut de dominance perçu par le propriétaire. Des études antérieures ont défini des traits similaires à l’affirmation de soi (dominance), tels que « audace », « confiance », « courage », « confiance en soi » et « motivation ». Les chiens hautement éducables avaient aussi également tendance à se voir attribuer un statut de « dominant » par les propriétaires. Contrairement aux prédictions, les chiens étiquetés comme « dominants » par les maîtres expert n’ont pas montrés de signes plus élevés dans le registre de l’agression intraspécifique, ce qui implique que les individus classés « dominants » par les propriétaires exprimaient plus probablement une dominance formelle, c’est-à-dire une dominance affichée sans agressivité. Cette observation peut être comparée avec celle des loups vivant en meute dans leur milieu naturel

La « dominance « suggère donc un contexte multifactoriel de relations chez les chiens de compagnie. Il est probable que le statut de dominance soit non seulement déterminé par l’expérience antérieure des interactions sociales entre les membres du groupe, comme le suggèrent les éthologues, mais également par les facteurs de personnalité proposés par les psychologues. Le lien identifié entre l’affirmation de soi en tant que trait de personnalité et l’état de dominance est probablement à l’origine de la confusion concernant le terme de « dominance » tant dans le public, que chez certain scientifique. En outre, des études futures, devraient aborder plus directement la distinction entre les différents styles de dominance e.g liées au rang, au statut, à l’antériorité etc.

L’utilisation abusive du terme « dominant » chez les chiens de compagnie a contribué à la mise en œuvre de techniques de formation aversives liées à cet état, bien que l’on sache désormais que la dominance n’est pas un trait de personnalité mais un attribut d’interactions entre deux individus.

Enfin, les résultats suggèrent que qualifier un facteur de personnalité animale de « dominant » est une mauvaise utilisation du terme. Par conséquent, afin de faciliter l’identification entre les traits de personnalité et la dominance en tant qu’état dans les dyades, ou en tant que rang dans les groupes sociaux canins, il est suggéré d’utiliser le terme « assertif ».

 

Que nous apprenne ces études ?

Le concept de dominance ne peut pas s’apparenter à un trait de personnalité du chien, comme quelque chose de visible, de prégnant et de durable dans le temps mais plutôt comme un « état « , car variable suivant le contexte ainsi que dans son aspect interrelationnel inter et intra-spécifique. Cet état est tributaire de nombreux facteurs, il est donc ainsi, temporaire et non fixé. Bien qu’il puisse réapparaitre s’il est soumis à des stimulus appropriés et perdurer si les conditions inductrices persistent.

Si le terme de dominance est souvent mis en exergue pour justifier et/ou procéder à une éducation coercitive, il n’est généralement issu que d’une connaissance empirique du chien extraite d’observations du loup conduite dans un milieu sérié par l’homme (qui s’oppose par ailleurs drastiquement aux résultats obtenus sur le loup, observés dans son milieu naturel) et qui ont été transposés au chien domestique.

Si l’on sait que le chien (canis familiaris) descend du loup (canis lupus), les phases évolutives qui peuvent être résumées schématiquement par :

  Loups -> Coopération -> Apprivoisement -> Domestication -> Socialisation -> Chiens

opérées par des millénaires (depuis le haut paléolithique soit 12 000 ans AP) de croisements (breeding) d’individus répondants à des critères spécifiques, e.g la peur de l’homme comme facteur d’exclusion (Cf. l’expérience le Beliaïev D.K 1950), nous oblige à reconsidérer largement toute analogie stricte entre l’espèce (canis lupus) et sa sous-espèce (canis lupus familiaris).

Le terme qui semple le plus approprié pour décrire cet état et ainsi d’éviter toute connotation « agressive » semble être celui d' »assertivité » en effet, l’assertivité est un moyen de faire passer un message difficile sans passivité mais aussi sans agressivité. L’assertivité du chien n’étant qu’un état, il n’est nul besoin voir même contre-productif d’user de moyens de dressage néfastes au risque de rentrer en conflit avec le chien, ce qui induirait chez lui, comme réponse, un comportement agressif issue de sa propre peur ou de produire une réponse de soumission extrême qui pourrait devenir un trait induit.

Ainsi la notion de hiérarchie canine (dans le cas du chien de compagnie), de leadership et plus particulièrement dans le milieu de la meute-famille qui nous intéresse ne s’applique pas de façon aussi stricte. Le chien est dépendant de son propriétaire pour satisfaire à ses besoins naturels primaires comme « manger », le leadership n’est pas remis en question. S’il existe des exemples de manifestation d’agressivité à l’encontre du maître, il serait nécessaire de s’interroger sur l’histoire de la dyade homme-chien et de procéder à des réajustements comportementaux.

 

 

Références :

Wallis LJ, Iotchev I, and Kubinyi E (2020) Assertive, trainable and older dogs are perceived as more dominant in multi-dog households.

Drews C. The Concept and Definition of Dominance in Animal Behaviour. Intergovernmental Panel on Climate Change, editor. Behaviour.

Roberts BW, Walton KE, Viechtbauer W. Patterns of mean-level change in personality traits across the life course: a meta-analysis of longitudinal studies. Psychol Bull.

Gosling SD, John OP. Personality Dimensions in Nonhuman Animals. Curr Dir Psychol Sci.

Beaudet. R, Chalifoux. A, Dallaire. A Predictive value of activity level and behavioral evaluation on future dominance in puppies

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